Edition n° 1130 Mercredi 3 septembre 2008 Chronique d'un mercredi sur deux SOURIEZ VOUS ÊTES TRACéS Bonjour les gens, Ayé, c'est la rentrée. Ce qui veut dire plus d'actualités qu'au cours des derniers mois et le retour sur le devant de la scène de sujets qui avaient été un peu en sommeil (au moins en apparence). Parmi ces sujets il y a le vote du paquet télécom par le parlement européen, et chez nous le passage devant notre parlement à nous du projet de loi Hadopi, euh, pardon, Création et internet. Un des points épineux de ces deux sujets porte sur le respect de la vie privée des internautes, vous et moi donc. Faut-il mettre en place des mesures qui feront que tout un chacun sera en permanence surveillé, suivi, tracé, fiché, sans motif nécessairement valable et sans recours ? Faut-il confier cette surveillance, ce suivi, ce traçage, ce fichage, à des entités privées, qui agiraient sans contrôle, sans compte à rendre à quiconque, et pour le seul bénéfice de quelques intérêts privés ? C'est un débat essentiel, que nous avons déjà largement couvert et que nous allons encore couvrir largement. Mais ces deux projets en cours et leurs corollaires ne doivent nous faire oublier que ce ne sont pas là les seules atteintes au droit fondamental au respect de la vie privée. Il en est d'autres qui sont toutes aussi pernicieuses, et qui sont de la même manière présentées comme étant bénignes, et, promis, faites rien que pour notre bien à tous. Une illustration de ces atteintes pernicieuses nous est donnée par l'actualité récente. Toute récente. D'hier. Soir, même, en notre contrée. Nous l'avons évoqué hier aussi, le dernier article de notre lettre du jour (enfin, d'hier, vous m'aurez compris :) ). Je veux parler de l'annonce et de la mise à disposition du public d'un nouveau navigateur web, Chrome. C'est, au moins a première vue, une bonne nouvelle. Après des années de léthargie, où Internet Explorer 6 régnait sans partage, le petit monde des navigateurs web a retrouvé ces derniers temps une effervescence bénéfique. De nouvelles fonctionnalités, des performances qui progressent, une sécurité améliorée, bref, presque que du bon pour nous internautes. Sauf que l'annonce d'hier n'est pas aussi désintéressée, aussi altruiste qu'elle pourrait (voudrait ?) le laisser croire. Parce que ce nouveau logiciel ne nous est pas proposé juste pour notre bien à nous qu'on est beau, gentil, et j'en passe. Il est d'abord et avant tout proposé pour servir les intérêts de son auteur, Google. Ce n'est pas une oeuvre philanthropique, donc on ne peut pas le lui reprocher. l'oublier. Mais on ne doit pas pour autant Et c'est quoi, son domaine d'activité, à Google ? Ben oui, la publicité et la vente d'espaces publicitaires. Et c'est clairement le leader de ce marché sur internet, avec selon les estimations entre 60 et 70 % du marché. Quel rapport, me direz-vous, avec les atteintes au respect de la vie privée évoquées plus haut ? Très simple, en fait, si on se rappelle qu'internet est un poil différent des autres médias. Lorsqu'une publicité passe à la télé ou à la radio ou paraît dans la presse écrite, il est certes possible de mener des études pour se faire une idée du public qui l'a vu, ce genre de chose, mais ça reste une vue générale. Pas moyen de savoir si vous personnellement l'avez vu. Alors qu'avec internet c'est facile. Très facile, même, vu que c'est inhérent au mode de fonctionnement de la chose. En d'autres termes, quand vous avez 60 % du marché, vous pouvez savoir qui a vu telle pub, quasi individuellement. Et vous avez l'historique des consultations, aussi, puisque vous êtes présent presque sur tous les sites. En d'autres termes, vous avez un profil non plus global mais individualisé. Bref, vous surveillez, suivez, tracez, fichez les gens. Et cela ne se limite pas aux publicités vues, bien sûr, vu que par essence le diffuseur des publicités sait sur quel support, sur quel site, sur quel article, cette publicité a été vu par telle personne. Sans leur consentement, souvent, et sans qu'il y ait un moyen simple de s'y soustraire. [Enfin, quand je dis qu'il n'y a pas de moyen simple de s'y soustraire, je simplifie un peu. Il existe dans la plupart des navigateurs des options qui permettent de gérer un peu certaines choses, comme les cookies, mais ce n'est ni simple ni facile à ajuster pour trouver un équilibre entre respect de la vie privée et confort de navigation. Il existe d'autres outils, plus simples et plus efficaces, comme AdBlock ou assimilés, mais de diffusion confidentielle, parce que la plupart des auteurs de navigateurs web n'y ont pas intérêt (après tout, quand l'essentiel de vos revenus provient, heu, du principal acteur de la publicité sur le web, vous n'allez pas prendre le risque de le fâcher, hein, même si vos utilisateurs le demandent, coucou Mozilla). (Pour faire une parenthèse dans la parenthèse, on peut noter avec un certain amusement que Microsoft semble étudier sérieusement l'éventualité de l'intégration d'un tel outil en standard dans sa version à venir d'Internet Explorer 8. Lui en effet ne dépend pas significativement de la publicité sur internet, et donc ne serait-ce que pour ennuyer son concurrent Google peut envisager de proposer de tels outils.)] Pour en revenir à nos moutons, donc, nous sommes en présence d'un acteur qui a un joli profil sur la plupart des gens, et qui souhaite l'exploiter. Et qui, pour mieux affiner et tirer partie de ce profil, cherche à se rapprocher encore plus prêt des utilisateurs. Pour avoir un profil encore plus précis, et pour pouvoir le vendre. Les conditions d'utilisation associées audit nouveau navigateur étant on ne peut plus claires(1) : enregistrement des données, transmission à des tiers, et même tant qu'à faire possibilité de modification du contenu présenté (du style, pourquoi pas, vous demandez à voir un site et c'est un autre qui vous est présenté, parce qu'il aura passé des accords avec Google et pas le premier, bref, une jolie cage). Bref, une belle illustration si besoin était que la vigilance dont il faut faire preuve pour préserver nos droits et nos libertés fondamentales doit être de tous les instants et ne doit négliger aucune éventualité, au risque de se retrouver prisonnier et privé de cesdits droits et libertés fondamentales. À bientôt, Martin (1) http://www.pcinpact.com/actu/news/45721-google-chrome-publicite-licence-EULA.htm Au format PDF, cette newsletter est cliquable. Les mots en gras cachent des liens hypertextes. Passez la main Acrobat Reader sur l'un de ces mots, un W apparaît. Cliquez. Vous êtes sur Internet ;-) Toutes les marques de commerce, marques de service, logos et autres marques qui pourraient apparaitre dans cette newsletter appartiennent à leurs propriétaires respectifs.